Le gala des profs qui dérangent…

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Un jour, j’ai complimenté ma plus vieille alors que ma plus jeune était tout près : « Bravo ma grande. Tu as bien travaillé ! » Et ma plus jeune de répondre : « Et moi, j’ai mal travaillé ? ». Cette petite histoire familiale banale traduit bien ce qui se produit dans le monde professionnel de l’éducation lorsque des enseignants sont félicités par leurs supérieurs immédiats ou un professionnel d’encadrement à la suite d’un accomplissement particulier :

« Moi aussi je fais de belles choses et je ne suis jamais félicité ! »

« Ce sont toujours les mêmes qui sont félicités. »

« Bon… encore le têteux de boss ! »

« C’est du favoritisme ! »

Il n’est pas facile de renforcer des enseignants dans leur travail ! À titre d’exemple, je me souviens, il y a plusieurs années, la présidente du syndicat était venue me rendre visite dans mon bureau : « Je suis mal à l’aise que tu prennes du temps dans les journées pédagogiques pour féliciter des enseignants. » J’en étais frappé de stupeur ; je ne pouvais croire que celle qui devait représenter ses membres et veiller à leurs intérêts venait expressément de me demander de cesser de les encourager et de souligner leur(s) accomplissements(s). « Oui, tu en félicites un ou deux. Et les autres ? » Elle m’a expliqué que cela rendait la majorité mal à l’aise, ainsi que les enseignants félicités.

Malheureusement, cet exemple n’est pas un cas isolé. Combien d’enseignant brillent d’ingéniosité et d’innovation sans être reconnus dans leur milieu ? Je veux bien croire que nul n’est prophète dans son pays, mais les plus persévérants iront chercher cette reconnaissance à l’extérieur de leur milieu. Voilà qui est triste et pathétique : ils ont souvent un plus grand effet dans d’autres milieux que les leurs ! Dans leur école, ils sont souvent ostracisés ou font l’objet de railleries, et ce, quand ils ne sont pas carrément victime d’intimidation !

Voilà qu’en même temps, cette profession en mal de reconnaissance est en proie aux impératifs de nivèlement vers le bas, elle qui a du mal à gérer le renforcement positif ! Quel paradoxe ! Pourtant, la reconnaissance n’est-elle pas le principal facteur d’une équipe efficace (Wils et Tremblay, 2002) ? Pour espérer une reconnaissance sociale, il faudrait bien que cette dernière vienne d’abord des pairs, non ?

Un enseignant qui brille par son sens de l’innovation et par ses initiatives en est un dont la renommée rejaillira directement sur le milieu, donc sur ses collègues. Le problème en éducation, c’est simple : quand un professionnel s’élève, ceux qui sont incapables de s’élever à leur tour se sentent menacés. Il est donc plus simple de faire le nécessaire pour ramener son collègue sur Terre plutôt que de s’élever à son tour.

Pourtant, dans plusieurs milieux professionnels, on fait le contraire. Les cabinets d’avocats sont fiers d’avoir les meilleurs dans leur firme. Lorsqu’un médecin développe une nouvelle expertise, sa renommée rejaillit sur toute sa profession et même sur le domaine de la santé au complet. Cela fouette même les autres à rivaliser d’ingéniosité à leur tour. Même les artistes ont cet effet : lorsqu’un musicien se dépasse au sein d’un groupe, c’est le groupe en entier qui en bénéficie ! Idem lorsqu’il est question de la distribution d’acteurs ou de comédiens dans un film, une série ou une pièce de théâtre. Il existe même des galas qui mettent en valeur les réalisations de certaines professions : entrepreneurs, sportifs professionnels et les artistes, mais pas pour les professionnels de l’éducation ! Il y a même l’employé du mois chez McDonald’s, mais pas dans nos écoles !

Le gala des professionnels de l’éducation

En parlant des galas, imaginez un gala des professionnels de l’éducation…

« Et l’enseignant de mathématique qui s’est le plus démarqué au Québec en 2016 est… »

Panique. On sort les quolibets et les « on sait ben… » :

« On sait ben… il enseigne au privé » ou « C’est injuste, il a moins d’EHDAA que moi » ou « Moi, j’enseigne dans un quartier défavorisé », etc.

« Et le directeur d’école qui s’est le plus démarqué au Québec en 2016 est… »

On continue avec les railleries :

« C’était évident. Sa femme est bien placée au cabinet du ministre » ou « Je connais un parent dont la fille va à son école. Il parait qu’il est hautain » ou « Il y a trois profs en burnout dans son école », etc.

« Et l’école qui s’est la plus démarquée au Québec en 2016 est… »

« C’est une école publique située dans un quartier favorisé » ou « Ils sélectionnent leurs élèves en musique, à l’éducation internationale, et au sports-études », etc.

C’est triste. Le fait est qu’en éducation, nous sommes nés pour un petit pain en s’adaptant toujours au plus faible des maillons de la longue chaine que nous constituons. Nous nous livrons trop souvent à nos plus bas instincts : jalousie, envie, commérages, etc. Ne pourrions-nous pas être fiers de ce que l’autre réalise et s’en servir comme tremplin vers notre propre croissance professionnelle ?

Nous sommes nés pour un petit pain en s’adaptant toujours au plus faible des maillons de la longue chaine que nous constituons.

La reconnaissance sociale de la profession enseignante (au sens large du terme) viendra lorsque que nous saurons constituer un rempart de fierté protégeant les meilleurs d’entre nous au lieu de les placer en situation où il est devenu obligatoire de prêter flanc aux pires critiques acerbes de nos collègues lorsque nous tentons d’innover ou de nous dépasser.

Vous trouvez que j’exagère ? Vraiment, j’en doute. Je ne peux évidemment pas certifier que cela est présent dans toutes les institutions scolaires, mais j’ai la chance de côtoyer des enseignants novateurs issus de partout au Québec et je pense qu’extrapoler ce que je décris n’est probablement pas si loin de la réalité ! Et pendant qu’on y est, si vous jugez qu’autour de vous « on félicite toujours les mêmes », eh bien… posez-vous des questions !

 

 

Wils, T. et Tremblay, M. (2006) La mobilisation des ressources humaines : une stratégie de rassemblement des énergies de chacun pour le bien de tous. La mobilisation des personnes au travail. Collection « racines du savoir » p. 34-58.

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