Lettre ouverte au ministre de l’Éducation du Québec

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Monsieur le Ministre,

Récemment, j’écoutais une bribe d’une de vos entrevues tenues à la radio de Radio-Canada. En vous paraphrasant, vous mentionniez que vous souhaitiez trouver les leviers qui mèneraient un maximum d’élèves vers la réussite scolaire.

Cette préoccupation, je suis certain que vous le savez déjà, est partagée par une très forte majorité des intervenants du milieu scolaire, sans égard à la nature de leur travail auprès des élèves. J’ajouterais qu’elle l’est d’ailleurs depuis fort longtemps. L’objet de ma lettre ouverte est de vous sensibiliser à l’importance de cesser de tenter de rénover le système d’éducation qui se caractérise désormais par sa désuétude et d’envisager, enfin, de reconstruire un nouveau modèle scolaire pour le Québec. Bref, la réussite ne pourrait-elle pas se trouver dans un autre paradigme ? Si ses leviers se trouvaient toujours dans le système actuel, je crois qu’avec tous les intervenants de qualité qui y œuvrent quotidiennement, nous les aurions trouvés.

À cet égard, je citerais Richard Buckminster Fuller : « On ne change jamais les choses en combattant la réalité existante. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rendra obsolète celui existant ». Là est notre problème, du moins depuis 2001 : ce qui a longtemps été appelé le Renouveau pédagogique était novateur, mais construit sur d’anciennes bases, toujours présentes. C’était un renouveau mi-figue, mi-raisin, une vieille Chevette dans laquelle on place un moteur de Porsche 911 Turbo.

À la base, Monsieur le Ministre, que souhaitons-nous tous ? Nous voulons que les élèves aient envie d’être à l’école et qu’ils s’y sentent bien, sans nécessairement voir leur parcours scolaire comme étant un passage obligé. À cette ultime priorité, nous souhaitons éduquer (instruire est un peu trop limité !) nos jeunes en plus de les rendre compétents, connaissants et en mesure d’assumer leurs éventuelles responsabilités sociales, professionnelles, familiales, etc.

Pour ce faire, j’aimerais humblement vous faire quelques propositions pour une école bien ancrée au 21e siècle :

Une école ouverte et flexible

J’aimerais voir une école ouverte où les élèves avancent à leur propre rythme et où les parcours d’apprentissages sont multiples. On parle souvent de différenciation pédagogique; je crois qu’il est temps de donner une réelle portée à ce terme qui est utilisé dans toutes les écoles quotidiennement. Cessons de différencier exclusivement dans la salle de classe; différencions les parcours d’apprentissages des élèves ! Ne pourrions-nous pas permettre à nos élèves de choisir les cours auxquels ils sont inscrits et dans quel ordre ils pourraient les suivre ? Bien évidemment, il y aurait quelques prérequis orientant certains choix et quelques cours obligatoires, mais abaissons les murs des classes et même ceux des écoles. Brisons les rangs d’ognons dans lesquels les élèves sont confinés. Donnons à nos écoles les allures d’un lieu ouvert, décloisonné, flexible, adapté à ceux qui le fréquentent.

À l’heure actuelle, nos élèves ont bien peu de choix dans leur propre démarche scolaire. Ils ne    contrôlent ni le temps scolaire ni la matière étudiée. Ils doivent souvent s’assoir à une place assignée pour suivre un cours défini. Ils n’ont aucune prise sur la séquence pédagogique et encore moins sur les outils mis à leur disposition en cours d’apprentissage. Également, pourquoi ne pas implanter des badges numériques qui pourraient, éventuellement, former un diplôme d’études secondaires ? L’idée est de permettre à l’élève d’obtenir un renforcement positif lors de sa progression scolaire et de donner une valeur à ces badges.

Une compétence professionnelle évolutive

J’aimerais que les enseignants puissent exercer une réelle autonomie professionnelle et qu’ils puissent aussi faire de véritables choix pédagogiques. Je souhaite qu’ils puissent être valorisés dans leur profession et qu’ils puissent exercer leur créativité professionnelle. Nous avons un criant besoin d’innovation en éducation et ce n’est certes pas en recyclant les approches ou les pratiques actuelles (ou plutôt les approches passées) que nous y parviendrons. Mettons-les réellement à l’avant-plan des activités scolaires au lieu de les étouffer par des programmes lourds et un temps limité. Ne vous gênez pas pour leur imposer des activités de formation continue afin qu’ils développent ou conservent un haut degré de professionnalisme et de compétence. Si l’effet enseignant joue un rôle dans la réussite scolaire, elle peut aussi lui nuire. Ne l’oublions pas !

Il est de votre responsabilité de leur permettre d’accéder à leurs propres leviers de transformation. Offrez des enveloppes budgétaires pour les écoles pour faciliter la formation continue chez les enseignants, mais surtout, donnez-leur des mesures incitatives. Par exemple, à chaque centaine d’heures de formation continue suivie, l’enseignant obtient une journée de congé ou quelque chose du genre. C’est bien peu, mais c’est un bon début de reconnaissance pour ceux qui s’impliquent activement dans leur développement professionnel.

Donner un nouveau souffle aux compétences transversales

Je sais, l’enseignement par compétences ne fait pas l’unanimité dans le milieu. Pendant que plusieurs se plaisent à opposer compétences et connaissances, j’aimerais réitérer ce que de plus en plus d’enseignants comprennent : il s’agit plutôt de deux concepts complémentaires. Cela dit, il faut faire de la place pour intégrer les compétences transversales au quotidien des élèves. Sans qu’elles soient nécessairement évaluées, elles doivent être intégrées dans les parcours de nos élèves qui vivront leur vie entière au 21e siècle : collaboration, cocréation, résolution de problèmes, communication, etc. Les Finlandais ont, semble-t-il, abandonné les compétences disciplinaires pour centrer leur action éducative sur les thèmes transversaux. Sans faire un tel virage qui risquerait d’effrayer autant le personnel scolaire que les parents, il y a certainement un moyen de faciliter la transversalité des contenus et d’abolir les matières-silos dans chaque école. Les matières sont des chasses gardées au contenu exclusif alors qu’il y aurait tellement lieu d’en faire une belle trame d’évènements continus coulant tous dans le même sens : celui que l’élève lui donne.

La sempiternelle question du financement

Le financement… Je me doute que vous êtes lassé d’en entendre parler. Je sais que le Québec suit les grandes lignes financières des pays de l’OCDE (OCDE, 2015), mais je souhaite vous rappeler qu’il y a lieu de faire mieux. Je sais, un programme de formation uniforme vous permet de mieux mesurer la performance du système, de vos écoles et des élèves. Vous pouvez ensuite comparer cela avec les autres pays de l’OCDE et vérifier la « rentabilité » de vos investissements en éducation.

Bien que je comprenne que les finances de l’État sont précaires et que tout le monde tire sur sa couverte, ne perdons pas de vue l’essentiel : investir en éducation maintenant risque fort de désengorger le domaine de la santé demain. Vous investirez dans l’innovation pour trouver de nouvelles solutions qui pourront améliorer la santé de nos concitoyens. Mais, de grâce, cessez de financer les piliers érodés d’un système qui finira, tôt ou tard, par imploser.

Monsieur, alors que vous tenez des consultations sur la réussite scolaire, je souhaitais vous sensibiliser à la perspective que nous cherchons peut-être la réussite là où elle ne se trouve plus. Ce n’est pas en (re)mélangeant les mêmes cartes que nous implanterons un réel changement qui engendrera une réelle réussite scolaire. Il faut résolument chercher ailleurs.

(…) nous cherchons peut-être la réussite là où elle ne se trouve plus.

Monsieur le ministre, je vous demande de tenir tête à ceux qui veulent rénover un modèle qui a fait son temps. Je vous demande de faire preuve d’audace pour inspirer les intervenants en milieu scolaire à en faire autant. En redéfinissant un nouveau modèle, vous nous inciterez à redéfinir nos pratiques.

Il manque de leadership et de vision en éducation au Québec. En fait, je corrige : ceux qui ont de la vision et du leadership sont trop souvent rabroués par d’autres collègues qui se font les porte-étendards d’un système rigide et qui se sentent menacés par des idées hérétiques.

Et c’est pour cela que j’ai choisi de vous écrire. Vous avez le pouvoir de faire que le différent et le contrasté puissent devenir une norme en éducation et que le banal et l’habituel deviennent ce qui est proscrit. Plus que jamais, nous avons besoin de quelqu’un qui pave la voie en éducation au Québec pour donner du courage à ceux qui sont prêts à vous suivre dans cette voie. Monsieur le Ministre, j’ai eu l’occasion de rencontrer une pléthore de professionnels de l’éducation ces dernières années et je peux vous dire que nous sommes mûrs pour un tel changement et que vous aurez un support indéfectible, mais apolitique de la part d’un grand nombre d’enseignants audacieux, de cadres scolaires inspirés et de professionnels en soutien dévoués.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire si cette lettre s’est rendue jusqu’à vous et je demeure à votre disposition pour en discuter plus longuement,

 

Marc-André Girard

Directeur d’école

Doctorant en administration de l’éducation

Auteur, blogueur et conférencier

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