La numérisation des épreuves ministérielles n’équivaut pas à leur modernisation !

Plusieurs diront : « finalement » ! Il semblerait que les épreuves ministérielles québécoises prendront le virage numérique dans quelques années… Voilà une belle tentative du ministère pour mettre ses pratiques évaluatives à jour quoique ce dernier pourrait faire preuve d’audace et ainsi saisir l’impulsion du moment pour les moderniser en profondeur.

Dans un premier temps, soyons honnêtes : il n’y a rien de révolutionnaire dans cette annonce. À titre d’exemple, autour de 120 000 iPads sont actuellement dans les mains de jeunes Québécois en ratio 1:1 dans nos écoles. Ces appareils sont d’ailleurs en forte croissance puisqu’il y a trois ans, on parlait d’environ 60 000 unités qui étaient en circulation dans ces mêmes écoles. À titre de comparaison, au Canada, ce sont environ 500 000 unités et aux États-Unis, ce sont 12 000 000 iPads qui sont dans les classes américaines. Bien qu’il ne s’agisse que d’un exemple didactique, il n’en demeure pas moins que les chiffres sont impressionnants. Divers outils de pointe étant désormais disponibles aux enseignants pour l’enseignement, qu’en est-il des stratégies évaluatives ? Bien que l’on puisse en conclure qu’elles demeurent principalement ancrées dans la tradition, il semble qu’on pourrait néanmoins constater qu’un changement est en cours et qu’elles s’adaptent de plus en plus aux approches pédagogiques et aux outils employés. Cela dit, quand les pratiques de terrain, soit celles ayant cours dans un nombre grandissant de classes, sont à des années-lumière des pratiques évaluatives ministérielles ancestrales, n’est-ce pas signe que ce dernier doit mettre les bouchées doubles pour être à l’avant-garde de la pédagogie québécoise ? Depuis quelques années, le « coulage » des épreuves dans les médias sociaux démontre bien que ces dernières ont mal vieilli et qu’elles se sont mal adaptées aux réalités sociales contemporaines. Également, pas plus tard que l’année scolaire dernière, le simple fait de permettre la tablette ou l’ordinateur à des élèves à l’examen de français était d’une complexité bureaucratique folle. Imaginez, en 2017, on doit encore demander une dérogation au ministère de l’Éducation !

Dans un deuxième temps, il faut sortir du carcan de la numérisation des vieilles pratiques pédagogiques, et ce, tant sur le plan de l’enseignement qu’à celui de l’évaluation. Reprendre le même format des évaluations ministérielles et en transformer le format afin qu’il soit compatible avec les outils utilisés en classe, ce n’est pas suffisant. Cette substitution, pour reprendre le jargon du modèle SAMR de Ruben Puentedura, ne fait que changer le contenant sans en modifier le contenu. Cette cure de rajeunissement n’est définitivement pas de refus, mais force est d’admettre que ce qui est plutôt nécessaire, c’est une évaluation des compétences issues du 21e siècle, essentiellement celles permettant, entre autres, l’émergence de la créativité, de la collaboration, du développement de l’esprit critique, de la pensée informatique (ou séquentielle), lesquelles permettent toutes de contribuer à la résolution de problématiques authentiques et complexes.

Autrement dit, ce ne sont pas les services d’informaticiens que le ministère propose de s’adjoindre qui est nécessaire, mais bien ceux de pédagogues dont les pratiques et les approches favorisent le développement des compétences citées au préalable.

Saluons les premiers pas du ministère reconnaissant implicitement que l’intégration des technologies à l’apprentissage n’est pas qu’une simple tendance moderne, mais en même temps, cette reconnaissance doit mener à une importante prise de conscience qui se traduit par des gestes concrets, ayant une incidence sur les acteurs à l’œuvre sur le terrain, en l’occurrence les enseignants et les directions d’écoles ou de commissions scolaires. Comme nous le savons, particulièrement en sixième année du primaire ainsi qu’en quatrième et cinquième année du secondaire, la tendance est à l’enseignement en fonction des épreuves ministérielles, ce qu’on qualifie, en anglais, de « teaching to the test ». Pourrions-nous conclure ou du moins espérer que changer le format des épreuves ministérielles donnerait l’exemple et inciterait les enseignants des matières concernées à changer leurs approches pédagogiques à leur tour ?

En ce sens, la numérisation des épreuves ministérielles telle que proposée ne peut être envisagée comme étant une modernisation. Elle est plutôt un petit pas dans la bonne direction dans une perspective de vision à très court terme. Cependant, pour le long terme, c’est le format complet de ces évaluations qui doit être revu. À ce moment, on pourra parler de modernisation desdites épreuves.

 

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